A propos de la tribune NoFakeScience

Récemment, une tribune a été publiée par le collectif NoFakeScience visant à alerter les médias sur leur traitement de l’information scientifique, en particulier de présenter les consensus scientifiques en tant que tels et non comme de simples opinions parmi d’autres. Intention louable, et sujet en effet très important. Pourtant, cette tribune a été vertement critiquée à la fois par des scientifiques et des journalistes scientifiques. Pourquoi ?

Certains ont cru y voir la main de lobbys industriels, tant le choix des « consensus scientifiques » est (en majeure partie) aligné avec les intérêts de ces groupes. Je ne connais pas personnellement les signataires, mais au vu de la liste il me semble plausible que les signataires soient sincères. Les journalistes flairent souvent le conflit d’intérêt, déformation professionnelle peut-être. Mais l’intérêt personnel n’est pas la seule (ni même la principale) motivation humaine, ni la seule source de biais cognitif. Il est à mon sens plus pertinent en l’occurrence d’y voir des biais philosophiques (j’y reviendrai). Quoi qu’il en soit, je veux ici commenter le texte lui-même en essayant d’éviter le procès d’intention.

Le choix des « consensus »

L’intention affichée, malgré quelques naïvetés philosophiques sur la « méthode scientifique », est louable et résumée dans cette phrase : « l’état de nos connaissances ne saurait être un supermarché dans lequel on pourrait ne choisir que ce qui nous convient et laisser en rayon ce qui contredit nos opinions. ». Malheureusement, c’est précisément ce que l’on peut reprocher à la liste qui suit de 6 « consensus scientifiques », que je reproduis ici verbatim :

  1. La balance bénéfice/risque des principaux vaccins est sans appel en faveur de la vaccination.
  2. Il n’existe aucune preuve de l’efficacité propre des produits homéopathiques.
  3. Aux expositions professionnelles et alimentaires courantes, les différentes instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate considèrent comme improbable qu’il présente un risque cancérigène pour l’homme.
  4. Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié (OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé.
  5. Le changement climatique est réel et d’origine principalement humaine.
  6. L’énergie nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut contribuer à la lutte contre le changement climatique.

A supposer qu’il s’agisse bien de consensus scientifiques (j’y reviens ci-dessous), il y a ici indéniablement un choix qui est fait dans cette présentation. Certains faits bien établis ont été « laissés en rayon », comme par exemple : les pesticides posent un très grave problème pour la biodiversité et de manière générale l’écosystème dont nous dépendons ; le nucléaire pose de sérieux problèmes de dissémination, accidents, déchets radioactifs. Ces remarques sont-elles « hors sujet », comme j’ai pu le lire dans les réactions du collectif ? Non, si l’on revient à la motivation même de la tribune, à savoir ne pas choisir uniquement ce qui nous convient. Bien sûr, il fallait bien faire un choix, ne serait-ce que pour la lisibilité. C’est là que j’en viens au biais philosophique. Ce choix parmi les faits établis est-il aléatoire ? Ce qui saute aux yeux, et qui n’a pas manqué d’être remarqué par les détracteurs de cette tribune, c’est que ces faits (sauf éventuellement le point (5)) vont globalement dans le sens de la glorification du progrès technique. Si l’on avait choisi à la place : les pesticides menacent les écosystèmes naturels ; les OGMs introduisent une relation de dépendance entre les agriculteurs et les multinationales ; les technologies nucléaires actuelles produisent des accidents catastrophiques ; nul doute que le message de la tribune aurait été modifié. Il y a donc une position philosophique qui se dégage nettement dans ce choix, à savoir une confiance a priori dans le progrès technique, que l’on retrouve par exemple chez des intellectuels comme Steven Pinker – dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne fait pas consensus.

Je vais maintenant commenter plus en détails ces points. Sur ces 6 points, j’estime que 3 points peuvent être légitimement qualifiés de consensus scientifiques (1, 2 et 5), mais que les 3 autres prétentions de consensus sont au mieux fallacieuses, au pire fausses.

L’homéopathie

Je commence par la question qui me semble la plus simple, à savoir l’efficacité de l’homéopathie (point 2), pour la contraster avec les autres. Contrairement aux autres points, il s’agit d’un problème scientifiquement assez simple, et qui à mon sens a été mal présenté. On entend souvent « l’effet de l’homéopathie est placebo ». C’est une formulation qui porte à confusion (il faut reconnaitre que la littérature scientifique est elle-même un peu confuse sur ce point). Tester l’efficacité propre de l’homéopathie est relativement simple. Lors de la consultation, on substitue aux granules homéopathiques des granules de sucre d’aspect identique. Cette substitution est faite de manière aléatoire dans la moitié des patients, à leur insu mais également à l’insu de l’homéopathe (ce qu’on appelle « en double aveugle »). Lorsque l’on suit leurs symptômes, on constate qu’il n’y a pas de différence entre les deux groupes. Le traitement homéopathique n’a donc pas d’effet propre. Pire que cela, ce serait un effet toxique. Comme le traitement de substitution s’appelle techniquement un « placebo » (terme un peu abusif), on rapporte que l’homéopathie n’est pas mieux qu’un placebo. Mais dans l’expérience que je viens de décrire, à aucun moment on a montré que l’homéopathie (ou la granule de sucre) a un « effet placebo » (au sens où la croyance en l’efficacité a un effet thérapeutique), ou un quelconque effet. On a simplement montré que l’efficacité ne pourrait pas être pire sans être toxique. Ce malentendu, me semble-t-il, est à l’origine de nombreuses réactions sur le mode : même s’il n’y a pas de substance active, pourquoi ne pas inciter les gens qui y croient à prendre de l’homéopathie, puisque l’effet placebo ça marche ?

Etant donnée la croyance répandue et fausse que l’homéopathie est efficace, il semblerait utile en effet comme le demande la tribune de mieux communiquer l’information scientifique. Cependant, il ne me semble pas en l’occurrence que les médias aient prétendu le contraire de ce que la tribune répète, à savoir qu’il n’y a « aucune preuve de l’efficacité propre ». Le problème, donc, ne semble pas tant être dans la communication de la parole scientifique, mais dans le crédit que les gens lui accordent (y compris les hommes politiques, visiblement), ce qui n’est pas exactement le même débat. La formulation employée dans la tribune ne clarifie pas tellement le sujet. Ce n’est pas exactement qu’il n’y a « aucune preuve ». Plutôt, l’efficacité a été testée de multiples fois, par des méthodes qui auraient dû révéler un effet de l’homéopathie s’il existait, ce qui n’a pas été le cas. Cela signifie que s’il existe un effet de l’homéopathie, il doit être extrêmement faible. Mettre cela sur le même plan que, par exemple, le glyphosate (voir ci-dessous), n’aide pas à clarifier la situation.

Je passe rapidement sur les vaccins, cas légèrement plus complexe mais du même ordre. Je note simplement qu’encore une fois, il n’est pas évident que le diagnostic porté par la tribune soit le bon, à savoir que le problème est que le consensus scientifique n’est pas présenté comme tel par les médias. Il me semble au contraire que les anti-vaccins sont tout à fait au courant qu’il y a un consensus, simplement ils pensent que les résultats des études sont contaminés par des conflits intérêts. S’il s’agit bien de cela, alors réaffirmer l’autorité de l’expert n’est pas la solution, c’est peut-être même contre-productif. Il s’agirait plutôt par exemple d’expliquer et/ou de renforcer l’indépendance des scientifiques menant ces études.

Le nucléaire

J’en viens maintenant aux points plus problématiques. Je commence par le nucléaire, qui est le plus simple à expliquer. La tribune rappelle justement que le nucléaire produit peu de CO2. C’est en effet un consensus scientifique. Pourquoi choisir de mettre en avant celui-ci ? Sans doute la tribune fait-elle implicitement référence aux sondages montrant qu’une partie importante de la population croit le contraire, ce qui est en effet inquiétant. Mais est-ce le fait des médias ? A ma connaissance, ce n’est pas le cas. Le Point rapporte un sondage récent en ces termes : « Selon un sondage BVA, une large majorité de Français pense que le nucléaire contribue à l'émission de gaz à effet de serre. Sa part est pourtant minime ». Au passage, le journal a déformé les résultats du sondage, comme expliqué ici. En lisant ce sondage, on apprend (p6) que les deux principaux reproches faits au nucléaire sont, non la production de CO2, mais la production de déchets et le risque d’accident. Ces deux autres faits consensuels ne sont cependant pas repris par le journal. Pourquoi alors se plaindre spécifiquement que les médias omettraient d’insister sur la faible empreinte carbone du nucléaire ?

J’en viens à la deuxième partie du point (6), le nucléaire « peut contribuer à la lutte contre le changement climatique ». On n’est plus ici du tout dans le consensus scientifique, mais dans le choix politique, qui doit faire intervenir toute la complexité du sujet, qui a été justement « laissée en rayon ». Si l’on considère que le risque d’accident nucléaire, ou de dissémination, est inacceptable, alors non le nucléaire ne peut pas contribuer à la lutte contre le changement climatique. Oui mais est-ce que le nucléaire « peut », en tant qu’option envisageable à pondérer avec ses risques, contribuer à cette lutte ? Il ne me semble pas que ce soit une question évidente non plus, pour lequel il y aurait un consensus scientifique. L’uranium est une ressource non renouvelable. Les estimations optimistes  (agence internationale de l’énergie atomique) considèrent que les réserves couvrent 100 ans de consommation actuelle. Une estimation plus récente (voir le preprint ici), moins optimiste, considère que les réserves ne peuvent pas en réalité être exploitées en totalité et que des problèmes d’approvisionnement commenceront à se poser dès 10 à 20 ans. Je ne suis pas en mesure d’arbitrer entre ces estimations (qui ne me semblent d’ailleurs pas forcément contradictoires), mais on peut simplement faire remarquer que si l’enjeu est de remplacer les énergies fossiles, par exemple en basculant l’automobile sur le réseau électrique, alors il n’est pas du tout évident que le nucléaire puisse y faire face. Les 10 à 100 ans de réserves d’uranium correspondent à la consommation actuelle, qui représente environ 5% de l’énergie consommée, et donc il n’est pas évident que cette part puisse réellement devenir plus significative. Il y a d’autres technologies nucléaires qui pourraient permettre de résoudre ce problème d’approvisionnement, mais pour cela il faudrait les mettre au point et les implémenter, ce qui prend du temps. Il faut aussi, pour être juste, comparer le nucléaire aux alternatives, comme par exemple le photovoltaïque, qui pose aussi un problème de ressources rares. Le nucléaire peut-il contribuer à la lutte contre le changement climatique ? Franchement, je ne sais pas : c’est un sujet complexe et à ma connaissance il n’y a pas de consensus. Affirmer que c’est un consensus scientifique est donc au mieux fallacieux (le consensus c’est qu’on peut y réfléchir, ce qui ne veut rien dire), au pire faux.

Le glyphosate

 La tribune propose également deux « consensus scientifiques » sur des sujets complexes et multifactoriels, que sont les pesticides et les OGMs. Je ne suis expert ni du glyphosate, ni des OGMs, mais cela ne semble pas non plus être le cas de la quasi-totalité des signataires. Personnellement, j’aurais un peu plus d’humilité sur ces sujets. Je fais donc quelques remarques en tant que scientifique non expert mais néanmoins capable de saisir quelques subtilités méthodologiques.

Concernant le glyphosate, la formulation de la tribune est extrêmement fallacieuse : « Aux expositions professionnelles et alimentaires courantes », le glyphosate ne présente probablement pas de risque cancérigène pour l’homme. Par cette formulation, on pourrait croire qu’on parle ici d’études épidémiologiques sur des expositions réelles. Or ce n’est pas le cas, l’une des raisons étant que c’est méthodologiquement difficile, étant donné que tout le monde est exposé à des pesticides divers sans en connaître la quantité ni la formulation. Ce à quoi fait référence la tribune, ce sont des tests en laboratoire de toxicité de la molécule glyphosate, et non des formulations effectivement commercialisées, aux doses correspondant aux doses présumées dans des « expositions professionnelles et alimentaires courantes ». Cette nuance est bien rapportée dans le document de l’autorité européenne de sécurité des aliments cité par la tribune, dans une section justement intitulée « Pourquoi certains scientifiques disent-ils que le glyphosate est cancérogène? ». Peut-on, au vu de ce titre, parler de consensus scientifique ? On y apprend notamment que « certaines formulations contenant notamment du glyphosate présentent une toxicité plus élevée que celle présentée par l'ingrédient actif, probablement en raison de la présence de coformulants » - soulignons que cela ne veut pas dire nécessairement que c’est le coformulant qui est toxique (interprétation réductionniste), mais possiblement qu’il amplifie ou agit en combinaison avec la substance active. Or si l’on s’intéresse effectivement aux « expositions professionnelles et alimentaires courantes » comme le fait la tribune, c’est bien aux formulations commerciales qu’il faut s’intéresser. Le rapport récent de l’agence française ANSES conclut de même : « le niveau de preuve de la génotoxicité du glyphosate chez l’animal peut être considéré comme relativement limité, en revanche des éléments complémentaires devront être fournis en ce qui concerne les préparations contenant du glyphosate », et elle propose que « la classification en catégorie 2 [Substances suspectées d'être cancérogènes pour l'homme] peut se discuter ». Ce n’est certainement pas ce que laisse penser la tribune, par l’usage du mot « improbable ».

Il est intéressant de contraster ce point et celui sur l’homéopathie. Dans ce dernier cas, il n’y a aucune preuve de l’efficacité de l’homéopathie. Concernant le glyphosate, on n’a pas les éléments pour conclure de manière claire à sa toxicité. Mais on parle ici de deux affirmations tout à fait différentes. Dans le cas de l’homéopathie, on a effectué les tests nécessaires, ceux-ci auraient dû démontrer l’effet de l’homéopathie s’il existait, or aucun effet n’a été mesuré. Dans le cas des pesticides, on est face à une question qui est méthodologiquement beaucoup plus difficile. Ce n’est pas que l’effet des pesticides est tellement faible qu’il est indétectable. Comme le rappelle une expertise récente de l’INSERM, « Les experts rappellent que «ne pas être en mesure de conclure ne veut pas dire obligatoirement qu’il n’y a pas de risque». Ce n’est pas ce que j’appellerai un consensus scientifique sur l’absence de risque.

Sans doute, des résultats d’études en laboratoire du glyphosate (notamment sur des animaux, avec des doses non comparables) ont été mal relayées par les médias. Je suppose que c’est ce qui a motivé les auteurs de cette tribune. Mais que la preuve soit fausse n’implique pas que le théorème est faux. Sur la toxicité des pesticides tels qu’ils sont utilisés commercialement, il est abusif de prétendre qu’il y a un consensus scientifique net, et cela est admis par les instances règlementaires comme l’EFSA (« Pourquoi certains scientifiques disent-ils que le glyphosate est cancérogène ? »).

On aurait pu en revanche parler d’autres aspects plus consensuels comme le risque pour la biodiversité, mais cet aspect a été « laissé en rayon ».

Les OGMs

Je termine sur les OGMs. On apprend dans cette tribune qu’un OGM « ne présente pas en soi de risque pour la santé ». Voici une assertion assez étrange. Un OGM est un organisme dont on a modifié le génome, et qui donc n’existe pas à l’état naturel. Les conséquences de cette modification sont donc peut-être anodines, ou peut-être pas. Il n’est pas évident a priori d’anticiper les conséquences pour l’organisme, sa descendance éventuelle et davantage encore pour l’écosystème. Qu’est-ce que les auteurs ont-ils bien voulu dire par « ne présente pas en soi de risque » ? La position par défaut devrait au contraire être la méfiance, et non pas : a priori pas de problème.

Peut-être – je spécule – les auteurs pensaient-ils : il y a bien des mutations naturelles du génome chez les animaux, d’élevage par exemple, que l’on sélectionne, et pourtant on ne s’inquiète pas des dangers potentiels de ces mutations. Changer le génome artificiellement ou spontanément, c’est pareil. Non, ce n’est pas pareil. Les mutations naturelles sont généralement (je simplifie) introduites graduellement, progressivement sélectionnées, n’affectent pas tous les gènes de manière égale et indépendante. Insérer le gène d’une méduse fluorescente dans un lapin, ça ne se produit pas spontanément. Cela ne veut pas dire pour autant que le lapin sera toxique, mais enfin on ne peut pas dire que ce soit comparable à sélectionner les vaches qui donnent le plus de lait.

On aurait pu dire, sans doute, qu’à l’heure actuelle on n’a pas détecté d’effet toxique des OGMs alimentaires mis sur le marché. Mais l’idée qu’un OGM « ne présente pas en soi de risque pour la santé » n’est pas un consensus scientifique dans la mesure où cette phrase ne veut rien dire. Encore une fois, il y a un choix éditorial qui a été fait ici, d’un « consensus scientifique » qui n’en est pas un, et ce choix n’est pas neutre. On aurait aussi bien pu dire : un OGM n’est pas en soi inoffensif, ce qui aurait donné une toute autre coloration à la tribune. Ici, le choix va clairement dans le sens de « il faut faire confiance au progrès technique ».

Le grand public n’est pas confronté à des OGMs « en soi » (qu’est-ce que c’est ?), mais à des OGMs produits dans un certain contexte socio-économique, à savoir par des multinationales, ce qui contribue (non sans raison) à la méfiance. On ne peut pas balayer d’un revers de main la question du conflit d’intérêt lorsque les tests de toxicité sont effectués ou financés par les principaux intéressés. Par ailleurs, dès lors que l’on prend en compte le contexte socioéconomique et politique dans lequel les innovations techniques se déploient, on doit nécessairement envisager ces innovations au-delà de leur aspect purement technique. Les OGMs posent par exemple le problème de la brevetabilité du vivant.

La tribune reconnait presque ce point : « la science n’a pas réponse à tout ». Malheureusement, il semble que ce que les auteurs voulaient dire, c’est : « la science n’a pas encore réponse à tout », puisqu’ils argument ainsi : « Il existe des questions qui n’ont pas conduit à un consensus clair, voire qui restent sans réponse. ». Surtout, il existe des questions qui ne sont tout simplement pas de nature scientifique – ou alors scientifiques au sens très large, incluant l’ensemble des sciences sociales, et encore, il faudrait inclure la philosophie.

Quelques remarques finales

Comme je l’ai écrit dans l’introduction, je pense que les auteurs de cette tribune sont sincères (même si elle ne va pas manquer d’être récupérée). Je comprends leur exaspération et leur inquiétude vis-à-vis du traitement de l’information scientifique par les médias (j’y reviens ci-dessous). Néanmoins, ils commettent à mon sens dans cette tribune certaines erreurs fondamentales, qui semblent relever d’un biais philosophique en faveur des vertus du « progrès » (comme en son temps Claude Allègre, qui considérait toute critique du progrès technique comme obscurantiste). La première erreur, que j’ai essayé de commenter en détails, est que certaines questions très complexes et multifactorielles sont présentées abusivement comme consensuelles, à savoir les OGMs, le nucléaire et les pesticides. Je ne suis personnellement pas opposé à ces trois choses par principe, néanmoins il me semble qu’elles posent de sérieux problèmes qui doivent être débattus démocratiquement, et non par simple arbitrage technique. On me répondra peut-être que pour cela, il est nécessaire de disposer d’une information scientifique fiable. Absolument, et c’est pourquoi sélectionner dans cette information uniquement les bienfaits ou absences de risque et les présenter abusivement comme des consensus scientifiques ne fait qu’introduire de la confusion.

Cela jette malheureusement le doute sur les autres points (homéopathie, vaccins, climat) qui sont présentés sur le même plan. J’en viens donc à la seconde erreur, erreur stratégique ou peut-être erreur de diagnostic. Posons-nous la question : pourquoi les gens croient-ils des choses fausses ? Est-ce parce que les médias relaient ces choses fausses ? Il se trouve que beaucoup de gens (en gros, la moitié) ne font pas confiance aux média. Dans ce contexte, donner aux médias la responsabilité d’apporter la bonne parole (car il est en effet question dans cette tribune d’autorité scientifique plus que de méthode scientifique) semble discutable. On apprend notamment que la majorité des gens pensent que les journalistes ne sont pas indépendants. Cela semble en effet assez factuel : la quasi-totalité des médias appartiennent à de très grands groupes ou à de puissants hommes d’affaires, et sont financés par la publicité. La confiance en la parole politique est au plus bas. Cette méfiance n’est pas illégitime non plus. Il y a donc un contexte de méfiance généralisée de la parole institutionnelle. Dans ce contexte, il n’est pas clair que relayer plus explicitement la parole officielle scientifique va porter les fruits espérés.

Pourquoi les gens croient-ils dans des théories conspirationnistes, voire des « fake news » ? Les réponses habituellement avancées sont généralement sur le mode de la condescendance (les gens sont mal éduqués), sur fond de réseaux sociaux. Il y a pourtant une possibilité évidente qu’il faudrait prendre au sérieux : parce que les conspirations, ça existe et tout le monde le sait. Oui, une grande entreprise d’automobile peut délibérément truquer les tests règlementaires pour pouvoir écouler ses voitures polluantes. Oui, une grande entreprise agroalimentaire peut ficher des journalistes et hommes politiques considérés comme néfastes à ses intérêts. La méfiance n’est pas illégitime.

Il est certain que présenter comme consensus scientifiques des choses qui pour moitié ne le sont pas ne va pas aider à rétablir la confiance. D’ailleurs, faut-il rétablir la confiance ou plutôt créer les conditions de la confiance ? Pour ce qui est des scientifiques, le statut de fonctionnaire contribue à garantir l’indépendance par rapport au pouvoir, et il est inquiétant que celui-ci soit remis en cause ; de même l’intensification de la mise en compétition des chercheurs sur des appels d’offre est inquiétante. Pour ce qui est des journalistes, premièrement il faudrait qu’il y en ait. Le journalisme traverse une crise existentielle, et dans ces conditions il semble illusoire de demander aux journalistes (lesquels ?) de mieux faire leur travail. Dans la plupart des médias, le traitement de la science consiste à rapporter des communiqués de presse d’universités ou d’organismes de recherche (quand ce n’est pas simplement relayer d’autres médias sans vérifier), or ceux-ci portent sur des études ponctuelles et non un savoir consolidé (précisément ce qui manque à cette tribune). Ces communiqués, de plus en plus, font dans le sensationnalisme sous la pression politique, qui tend à transformer les universités en marques. Pour améliorer cela du côté des médias, il faudrait un réel travail de journalisme, ce qui suppose des journalistes, notamment scientifiques, pas si évident dans le contexte actuel (quelques médias, rares, le font). Deuxièmement il faudrait idéalement renforcer l’indépendance des journalistes, ce qui n’est pas évident non plus dans le modèle économique actuel. Le problème de l’information scientifique du grand public est un problème lui aussi complexe qui ne peut s’envisager en faisant abstraction du système économique et politique dans lequel la production et la diffusion des connaissances s’inscrivent. C'est, plus largement, un problème de démocratie. C’est peut-être à cela qu’il faut réfléchir.

20 réflexions au sujet de « A propos de la tribune NoFakeScience »

  1. Bonjour,

    En fait grâce à votre article, je comprends mieux pourquoi de si nombreuses personnes ont le même sentiment que le vôtre vis à vis de cette tribune (que j'ai signée en post-publication, pour poser les choses).

    En fait je pense sincèrement qu'une grande partie du hiatus vient de la différence de contact que l'on peut avoir avec la population. Vous avez l'impression que la tribune est trop floue et qu'elle répond à des questions que personne ne se pose, mais je pense que vous faites erreur sur ce point.

    En effet, sur de nombreux points que vous balayez, vous semblez considérer que la majorité de la population a une idée claire des consensus sur les vaccins, le nucléaire ou les OGM par exemple.

    À propos des vaccins, vous dites par exemple : " Il me semble au contraire que les anti-vaccins sont tout à fait au courant qu’il y a un consensus". Or ce n'est pas exact. Pour avoir fait beaucoup de vulgarisation sur ce point, au contact d'enseignants, d'élèves du secondaire et de formations supérieures en diététique / nutrition mais aussi de gens qui se disent intéressés par ce sujet en chair et en os (public de la Fête de la Sciences, de Pint of Science) comme sur le net, la position dominante des anti-vaxx (et le doute honnête des gens qui ne sont ni anti-vaxx ni biologistes) c'est qu'il n'y a pas de consensus, que les medias et une caste dominante soumise aux lobbies essaient de taire les résultats de recherche qui démontreraient l'absence d'efficacité ou les effets secondaires des vaccins.
    La presse et certains politiques sont complices de cet état de fait, en donnant la parole à des fraudeurs comme A. Wakefield.

    Sur les OGM, vous dites "Qu’est-ce que les auteurs ont-ils bien voulu dire par « ne présente pas en soi de risque » ? La position par défaut devrait au contraire être la méfiance, et non pas : a priori pas de problème." Les auteurs répondent très probablement à ce qui est encore aujourd'hui l'inquiétude numéro 1 de la population, des élèves, des profs : "l'OGM est dangereux car il est modifié génétiquement, donc on mange des trucs mutagènes (citation approximative d'une itw d'un responsable politique "l'OGM est un processus de modification des gènes, et je ne vois pas ce qui l'empêche de modifier nos gènes quand nous l'ingérons")". Or cette phrase est fausse. Il y a un large consensus scientifique sur la question de l’innocuité de la consommation des OGM lorsqu'ils sont pris dans leur ensemble. Si dangerosité il y a, elle est inhérente aux gènes que l'on utilise, mais ce n'est pas compris par la majorité de la population (faut voir comment l'atmosphère se crispe quand on demande à des élèves de Terminale au nom de quoi ils imaginent que la transgenèse est dangereuse en elle-même).

    Par contre le passage suivant me semble être une opinion plutôt qu'un fait "Changer le génome artificiellement ou spontanément, c’est pareil. Non, ce n’est pas pareil. Les mutations naturelles sont généralement (je simplifie) introduites graduellement, progressivement sélectionnées, n’affectent pas tous les gènes de manière égale et indépendante", à moins que vous ayez de la littérature claire sur les effets délétères de la transgenèse. Le transfert horizontal naturel est strictement analogue à la transgenèse, et je n'ai jamais rien lu qui dise que c'est dangereux pour qui que ce soit (sinon on serait mal barrés, c'est comme ça qu'on a "inventé" le placenta).

    Sur le nucléaire, je me permets de signaler que vous avez mal lu le résultat de l'enquête. À la page 17, on peut voir que 69% des sondés considèrent que le nucléaire contribue à la production de gaz à effet de serre. Il est donc légitime de rappeler que ce point est faux (et encore une fois, en formation d'enseignants sur les énergies, c'est assez édifiant de voire le %ge qui classe le nucléaire dans les énergies carbonées, même si ça vient peut-être d'un problème de terminologie "carboné-fossile").
    Vous dites également " le nucléaire « peut contribuer à la lutte contre le changement climatique ». On n’est plus ici du tout dans le consensus scientifique" Or, c'est une citation verbatim du rapport du GIEC, qui est par construction une assemblée constituée de manière à représenter le consensus des spécialistes sur le climat (même si on pourrait objecter que ce n'est pas un consensus en terme de méta-analyse, je pourrais contre-objecter que c'est du pinaillage à mon avis, mais il serait tout à fait légitime de contre-contre-objecter que c'est une question de point de vue).

    Pour le glyphosate, enfin, vous faites exactement la confusion à laquelle essaie de répondre la tribune selon moi quand vous dites "Sur la toxicité des pesticides tels qu’ils sont utilisés commercialement, il est abusif de prétendre qu’il y a un consensus scientifique net, et cela est admis par les instances règlementaires comme l’EFSA (« Pourquoi certains scientifiques disent-ils que le glyphosate est cancérogène ? »)."
    La réponse à votre question entre parenthèse est simple : ces scientifiques (et le CIRC) travaillent sur le DANGER. Et le glyphosate possède un DANGER carcinogène probable (classe 2A), tout comme les émissions de friture et les produits de coiffure en exposition professionnelle. Notons que le glyphosate est donc moins dangereux que la charcuterie, l'alcool, la pilule contraceptive et la sciure de bois (classe 1). Alors certes, cette classification n'est pas parfaite (le KSHV est de manière incompréhensible toujours en 2A alors que c'est un classe 1 pour toute la communauté de spécialiste de ce virus), mais voilà.
    Or la tribune parle bien de RISQUE, et non de DANGER. C'est-à-dire la probabilité de courir un danger aux doses d'exposition professionnelles et non-professionnelles. Et ce RISQUE (ne pas prendre ombrage du caps, hein) est effectivement très improbable.

    Vous tombez ensuite dans un biais lorsqu'il s'agit de disserter des seuils réglementaires et scientifiques : c'est qu'en l'espèce (ce n'est peut-être pas vrai pour tout, mais là ça l'est) les scientifiques chargés de travailler sur le risque SONT ceux des agences réglementaires. En gros les scientifiques fondamentaux traitent la question du danger, puis passent le bébé aux toxicologues qui gèrent les réglementation, puis une 3e couche d’épidémiologistes testent a posteriori si la réglementation gère correctement le risque. Donc si vous réclamez des études de scientifiques hors-agences de réglementation qui travaillent en amont de ces dernières sur la détermination d'un risque, vous n'en trouverez pas des masses, par construction du milieu.

    Enfin, la fameuse 3e lame, les épidémio, eux, travaillent, et n'ont mis en évidence aucun lien épidémiologique entre utilisation du glyphosate et cancer. Ces études sont imparfaites car beaucoup de facteurs se percutent, c'est vrai, et elles ne s'intéressent malheureusement pas assez aux riverains des champs, mais c'est sur la base de cette méthodologie que la plupart des expositions dangereuses ont été mises en évidence (amiante, particules fines...).

    Au final, si je passe les quelques rares approximations de votre réponse, on en revient à dire que le propos de cette tribune me semble être le suivant : "De trop nombreuses personnes ignorent ces 6 points, qui sont des consensus, de trop nombreux journaux ne font rien pour expliciter ces consensus. Or ces ignorances nous empêchent de raisonner. Il est temps de dépasser ces points pour enfin aller plus loin et adresser ces questions de façon pertinente".

    Vous semblez vous offusquer que l'effet du glyphosate sur la biodiversité ou la question des déchets nucléaire ne sont pas adressées, mais ça veut justement dire qu'il n'y a pas consensus et que c'est LÀ DESSUS que les vrais débats devraient porter. Ça permettrait, par exemple d'arrêter de rejeter la transgenèse par pur obscurantisme, pour enfin réfléchir à la possibilité de mettre des cadres légaux à la mise au point d'OGM intelligents (pas comme le RoundUp ready), arrêter de vouloir fermer des centrales nucléaires par pur obscurantisme, mais enfin essayer de réfléchir à la place transitoire que peut avoir le nucléaire dans une transition décarbonée vers le renouvelable, etc.

    C'est un putain de pavé, et j'en suis désolé.
    J'ai pas sourcé par manque de temps, mais n'hésitez pas à me réclamer les sources.
    L.

    • Merci pour vos commentaires. Quelques remarques rapides. Concernant les vaccins, il me semble que vous allez dans mon sens: le problème en l'occurrence n'est pas tant que les médias disent des bêtises, mais plutôt que les gens ne les croient pas. Un problème de confiance donc, plus que de journalisme. Même chose pour l'homéopathie. Donc ce n'est pas si évident que la simple répétition des faits est une stratégie efficace. Pour le sondage sur le nucléaire, oui le nucléaire produit des gaz à effets de serre, simplement moins que les autres énergies, donc ce n'est pas faux en fait. A un autre endroit du sondage, on voit que la majorité des gens considèrent correctement que le photovoltaïque et l'éolien produisent moins de CO2 que le nucléaire. Il y a donc eu une déformation en effet de ce sondage. Il n'en reste pas moins que 30% de gens croient que le nucléaire produit beaucoup de CO2, ce qui est un problème je vous l'accorde.

      • Une remarque rapide à votre remarque rapide.

        Je ne le perçois pas comme ça pour les vaccins. Le problème vient du fait que les médias présentent mal les choses, en ayant une présentation relativiste. Pas plus tard qu'hier, je lisais un article exposant les éléments pour et contre des vaccins, en mettant sur le même niveau les effets secondaires inflammatoires bénins (avérés), les liens avec des maladies inflammatoires (très spéculatifs), les liens avec l'autisme (frauduleux), avec la narcolepsie, en disant que c'est avéré (ce qui est vrai... pour l'augmentation du risque au sein d'une sous-population génétique scandinave) et en citant les effets de l'aluminium vaccinal sur des maladies chroniques (ce qui va à l'opposé même de ce que dit l'auteur de ces articles). Tout ça présenté de manière égale, en disant à la fin qu'en gros les scientifiques considèrent les effets secondaires comme négligeables. C'est ce genre de présentation fautive qui est à l'origine d'une grande part de la méfiance vaccinale. Quand une mère de famille vient me voir à la fin d'un Pint of Science sur la vaccination en me disant "quand même, j'ai lu des trucs dans Le Monde sur l'autisme, ça fait peur", c'est que le job de communication est mal fait.
        On a d'ailleurs la même chose avec le tritium en ce moment.

        Pour le nucléaire, vous m'avez compris sur le principe. Mais quand même, croyez vous vraiment que les gens intègrent l'ACV (analyse du cycle de vie) de la technologie pour estimer les rejets en CO2 ? Quand quelqu'un vous dit "le nucléaire dégage des gaz à effet de serre", vous pensez qu'il veut dire "la centrale ne rejette pas de GES, mais le cycle de production oui" ? Peut-être, mais ce n'est pas le sentiment que j'ai lorsque j'en parle avec des élèves de seconde en tout cas.
        Et juste un détail, vous dites "A un autre endroit du sondage, on voit que la majorité des gens considèrent correctement que le photovoltaïque et l'éolien produisent moins de CO2 que le nucléaire" Ce qui n'est pas correct, au contraire ! La production de CO2 de l'ACV de l'éolien et du solaire sont supérieurs à celle de l'ACV du nucléaire (respectivement 12,5 ; 55 et 6 gCO2/eqkWh ). Encore une considération faussée du grand public, dans la droite lignée de la légende urbaine "une voiture électrique libère plus de CO2 si on compte la production qu'une voiture thermique".

        (C'était pas si rapide, promis j'arrête de vous harceler).

        • Vous avez raison pour le sondage, mon erreur de lecture.
          Pour les vaccins: oui je vois bien le problème auquel vous faites référence. Néanmoins, je ne sais pas si dire aux journalistes: "dites le consensus scientifique lorsque vous pouvez en identifier un" est très pertinent. Visiblement, pour l'article dont vous parlez, le journaliste n'en pas a été capable. Pour cela il faudrait non qu'il catalogue tout ce qui a été dit sur les vaccins, mais qu'il interroge un (idéalement plusieurs) spécialistes de la question.

  2. Merci pour cet article, clair et bien construit. Je l'ai ajouté à mon site web dans la rubrique 'non classé' (les thèmes abordés sont trop nombreux!). L'objectif de ce site est de proposer des contenus contradictoires sur des sujets soumis à controverse, on est en plein dans le sujet.
    Je me permets de vous poser une question : selon vous à "partir de quand" y a t'il consensus scientifique ? Le mot consensus veut parfois dire unanimité entre un groupe de personnes... Quelle proportion d'opinions favorables dans un groupe faut il pour pouvoir parler de consensus ? Comment choisir les personnes qui sont légitimes à faire partie du groupe ? ...
    Pour moi parler de consensus scientifique sans définir le périmètre du groupe de scientifique ni la proportion à partir de laquelle on considère le consensus atteint, est manipulatoire.
    Je préfère le terme bien moins ambigu d'opinion majoritaire. Ce qui change tout c'est que parfois en science, ce n'est pas la majorité qui a raison. J'ai perdu la citation exacte mais un grand physicien du début du 20 ème aurait déclaré (en substance) qu'en science une théorie peut être considérée comme valide quand il n'y a plus d'opposants sérieux en vie...
    Bien à vous

    • Pour la citation, c'est Max Planck.
      En effet, consensus ne veut pas dire vérité. Le terme "consensus scientifique" est problématique, sans doute. La science est faite de débats, et non d'une "découverte de la vérité". Elle ne progresse pas par vote mais par échange contradictoire et confrontation au réel, donc ça n'a pas beaucoup de sens de parler de proportion pour/contre. Il faudrait expliquer les différents courants et les points de débat. Mais il y a certains sujets sur lesquels ces échanges ont eu lieu et il n'y a plus vraiment de débat ni de courants parce que tous les éléments d'évidence confortent une certaine interprétation et contredisent les alternatives qui ont été proposées.

  3. Votre analyse est pertinente. Vous êtes mesuré sur les raisons qui motivent les auteurs de la tribune, de façon à éviter le discrédit facile, c'est tout à votre honneur. Il est en effet assez surprenant que les consensus avancés par cette tribune rejoignent tous, sans exception, les positions des divers lobbys qui ont un intérêt à promouvoir les bénéfices du nucléaire, des OGM et des pesticides dont le glyphosate ou round up, entre autres, en écartant les points négatifs de ces technologies. Hasard peut-être, ou biais philosophique involontaire. Une telle coïncidence éveille la vigilance de certains journalistes habitués à investiguer, on ne peut pas le leur reprocher, au vu des actualités. Actons que les auteurs sont sincères (on n'accuse pas sans preuve).

    En tout état de cause, de nombreux éléments ont été laissés de côté, révélant un parti-pris qui n'est pas justifié, hormis l'excuse bancale donnée par les auteurs selon laquelle "nous n'avons pas pu tout aborder pour des raisons de place" dans le journal choisi. Dans ce cas il aurait été préférable de raccourcir le couplet grandiloquent sur l'importance de la science, la Terre plate et les marchands de doute. Les 3/4 de la tribune auraient davantage leur place dans une dissertation de philo du baccalauréat, assez mauvaise au demeurant. Exit l'impact des pesticides sur la biodiversité, exit les risques environnementaux des déchets nucléaires, exit le photovoltaïque, exit la retenue nécessaire sur des sujets qui font débat au sein même de la communauté scientifique... "Pas de place" pour ces futilités.

    Le domaine de compétence des signataires peut aussi poser un problème. Des youtubeurs, bibliothécaires, vidéastes, informaticiens, citoyens concernés Etcetera sont-ils fondés à donner leur expertise sur des sujets qui ne relèvent pas de leur compétence ? Un auteur peut difficilement faire autorité en science sans être lui-même de la bande, ou alors il faut changer les règles unanimement admises des revues scientifiques à comité de lecture. Des non-spécialistes qui rappellent à d'autres non-spécialistes des connaissances qu'ils ne maîtrisent pas eux-mêmes (un ingénieur-agronome n'ayant pas expertise en cancérologie ni en nucléaire et vice-versa, ni un chirurgien-dentiste en glyphosate), il faut admettre qu'il y a de quoi sourire. Cette tribune ne fait pas l'économie des contradictions internes, qui l'invalident de facto lorsqu'on se réfère à la méthode scientifique qui leur est si chère.

    Vous vous êtes arrêté succintement sur les sources utilisées par ces auteurs pour établir leurs affirmations de "consensus". Ces sources sont-elles fiables à 100% ? Peut-on leur faire confiance aveuglément ? Certaines d'entre elles ont fait l'objet de controverses comme l'indique Libération :
    Extrait : https://www.liberation.fr/planete/2017/09/15/glyphosate-l-autorite-europeenne-de-securite-des-aliments-sous-influence-de-monsanto_1596572
    "L'EFSA est accusée par «La Stampa» et «The Guardian» d'avoir copié-collé certaines parties des rapports de Monsanto sur le glyphosate, dans une évaluation rendue en 2015, ainsi que d'avoir accordé un droit de regard au lobby industriel et non aux ONG qui l'ont demandé."

    Prendre comme référence incontournable une source ayant fait l'objet de critiques nourries sur son objectivité dans le domaine du glyphosate est-elle la meilleure façon de rétablir la confiance ? Pourquoi avoir choisi ces sources plutôt que d'autres ? A supposer qu'il soit nécessaire de rétablir la confiance dans le round up, un pesticide en suspens qui fait l'objet de procédures judiciaires dans plusieurs pays, dont la prochaine interdiction en France est très probable et saluée par l'opinion (la vraie, pas le canard).

    Parti-pris sur les sujets à traiter, ceux à écarter, parti-pris sur les sources à sélectionner, sur le choix et la légitimité des auteurs... Tribune portant sur des points déjà traités par les médias, comme cet excellent article du groupe CheckNews de Libération démontrant pourquoi parler de consensus sur le glyphosate est au mieux une grave erreur, au pire un odieux mensonge :
    https://www.liberation.fr/checknews/2018/06/08/est-il-vrai-que-le-consensus-scientifique-sur-le-glyphosate-penche-plutot-pour-son-innocuite_1657400

    Faut-il vraiment prendre du temps pour expliquer aux auteurs de la tribune que les agences de réglementation ne mènent pas leurs propres expériences et fondent leurs conclusions sur les articles scientifiques existants réalisés la plupart du temps par les industriels du glyphosate, contrairement à d'autres organismes comme le CIRC, qui n'a pas la même méthodologie et le classe "cancérogène probable". Faut-il aussi leur expliquer pourquoi évaluer uniquement le glyphosate n'a pas de sens, sachant qu'il n'est jamais commercialisé "pur" mais toujours associé à d'autres molécules, que le CIRC, lui, a testées ? Ou que certaines évaluations ne prennent pas en compte l'exposition professionnelle des agriculteurs ?
    Débattre avec des personnes qui conseillent aux journalistes de mettre fin au débat sur 6 sujets ne mènera qu'à une seule chose : leur réplique "Célélobi, on a la science (infuse), vous voyez des lobbys malveillants partout".

    La médaille d'honneur revient au journal l'Opinion dont l'en-tête présente à tort les signataires comme "250 scientifiques" qualifiés de "grands noms de la recherche mondiale" (on a donc affaire à 250 prix Nobel !). Pour une tribune faisant appel à la rigueur et à l'exactitude... Le trait d'humour incontournable étant "Ce texte est publié en France en exclusivité par l’Opinion" alors qu'on apprendra plus tard qu'il s'agit du seul journal français à avoir accepté. Mention spéciale aux rédacteurs de la tribune dont les phrases à double sens font impression, comme par exemple "souligne l'existence de consensus parfaitement établis sur certains sujets", dont on ne sait si l'adverbe parfaitement signifie absolument ou incontestablement, ou impeccablement, ou peut-être divinement, ou les quatre.

  4. Bonjour,
    Merci pour votre billet de blog 🙂 , qui me permet de mieux comprendre pourquoi certaines personnes (chercheurs, journalistes) avait pris leurs distances sur cette tribune.
    Je suis majoritairement d'accord avec ce que vous avez écrit, notamment au sujet de la confiance qu'accorde cette tribune au progrès technique (je tiens à le préciser car AMHA on se focalise sur les points de désaccords durant les discutions).
    Concernant les quelques points de désaccords : je tiens à souligner que je ne suis pas un expert, et ce, dans aucun domaine abordé (je vous fais part de ce que j'avais pu voir, lire ou entendre).

    À propos du nucléaire (certaines remarques ont déjà été prises en compte :-p):
    1 . Concernant les accidents, j'ai trouvé une personne qui s'est appuyée sur sa lecture d'études scientifiques : https://www.lereveilleur.com/hiroshima-tchernobyl-fukushima-les-morts-du-nucleaire/
    2 . de même pour les ressources d'uranium : https://www.lereveilleur.com/les-ressources-duranium/
    Vous pourriez objecter que ce travail admet des limites, à raison ; mais c'est le seul que j'ai trouvé (en français) qui faisait de la pédagogie sur ce sujet ; au finale, ce ne sont pas vraiment des points de désaccords mais plutôt des compléments, qui AMHA viennent alimenter la discussion.

    À propos des OGM:

    1 . "Un OGM est un organisme dont on a modifié le génome, et qui donc n’existe pas à l’état naturel": la compréhension que je fais de votre définition pose problème : ce que vous dites lorsque vous vous mettez à la place des auteurs rentre dans ce cadre : "il y a bien des mutations **naturelles** du génome chez les animaux, d’élevage par exemple, que ***l’on*** sélectionne"
    je vous demanderais alors : « pourriez-vous me donner votre définition de "naturel" ?  » ^^'
    En toute honnêteté, j'ai beau tourné le truc dans tous les sens, je n'y parviens pas ; AMHA, il s'agit plutôt d'un débat philosophique.
    En essayant de faire preuve de charité intellectuelle, je suppose que vous vouliez dire que c'est "Qui n'a pas subi de traitement chimique, qui ne comporte pas d'adjuvants chimiques", tiré de https://www.cnrtl.fr/lexicographie/naturel ; la première partie de cette définition est intéressante, mais il faut définir "chimique" :-p bon et sinon, si je mets mes plante au soleil (UV) ou que je leurs mets du lisier, ça devient un traitement chimique ? ^^
    après, il y a plein d'autre définitions, notamment celle-ci :
    "Qui est dans, appartient à la nature ; qui n'est pas le produit d'une pratique humaine.", qui rend votre définition caduque.
    c'est un débat sémantique qui est pour moi essentiel, non pas que j'aime enculer les mouches, mais j'aimerais savoir de quoi on parle ;
    Je pense que faire la distinction naturelle/pas naturelle en se basant sur le sens commun du mot n'a pas beaucoup de pertinence AMHA car ça ne dit pas si c'est mieux ou moins bien pour l’environnement et les hommes.
    2 . "La position par défaut devrait au contraire être la méfiance, et non pas : a priori pas de problème." : ici, je suppose que vous appliquez un équivalent du principe de précaution ; néanmoins, je pense que c’est plus simple de trouvé un problème dans un domaine donné, en supposant que c’est « safe » que de me dire « je me méfie, j’attends des preuves de la non-dangerosité pour l’homme/ l’innocuité pour l’environnement / ou autre » ; dit autrement : quand est-ce qu’on arrête de se méfier ? Ou alors : je ne pourrais jamais prouver que les ogms n’ont aucun défaut / ne cause aucun problème sur l’environnement / , mais je peux prouver aisément qu’ils en ont ; du coup, de base je suppose que les ogms n’ont pas de défauts, et j’attends les preuves (études) qui me dises : là il y a un problème, là il n’y en à pas, etc. Il faudrait AMHA faire comme avec les médicaments : quelques étapes essentielles à passer, pour un ogm, avant sa commercialisation. Sinon, il ne me semble pas qu’on étudie autant les autres plantes ; Après, pour le principe de précaution, bien sur, je suis entièrement d’accords pour l’appliquer (à savoir : on ne sait pas, on interdit) ; mais jusqu’à quand l’applique-t-on ? On pourrait faire la même chose dans d’autre domaines comme l’intelligence artificielle : on ne sait pas ce qu’il se passe dedans, on interdit ;
    3 . "Les mutations naturelles sont généralement (je simplifie) introduites graduellement, progressivement sélectionnées,"; il me semblait qu'il y avait de "la transgenèse inter-espèce" par le biais de virus (transfert horizontal de gène), qui se faisait avant que l'homme soit là, et qui était pur le coup un peut rapide : https://fr.wikipedia.org/wiki/Transfert_horizontal_de_g%C3%A8nes
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Transg%C3%A9n%C3%A8se
    4 . "Les OGMs posent par exemple le problème de la brevetabilité du vivant." il me semble que ce n'est pas un problème inhérent aux ogm: il me semble que beaucoup de semences non ogm vendus dans le monde soient brevetées et il existe aussi des ogm non breveté ;
    Je pense aussi que c'est là l'une des remarques les plus fréquentes lorsque l'on aborde les ogm; pour moi, résumer l’agriculture (aux travers des journaux, et du coup, de la tribune) au glyphosate (au pesticide en général), au OGM et au bio est une mauvaise manière d’aborder le sujet, et tout comme le nucléaire, il s’agirait de faire de la pédagogie d’abord.

    Sur les autres points, je suis d’accords ou je n’ai aucun élément qui me permet de vous en parler. Sinon, je peux tous à fait comprendre que pour rendre le message plus accessible, il ait fallu le simplifier. Pour finir, de manière générale vous résumez bien ça dans la fin de votre billet: " il faudrait un réel travail de journalisme, ce qui suppose des journalistes"; je serais tenté d'ajouter qu'il faudrait de la pédagogie (un sievert c'est ça, la mutagenèse c'est ça, etc);
    bien à vous

    • Merci pour vos commentaires. Concernant les OGMs, je pense que mon argument n'a pas été bien compris. Oui, le transfert horizontal de gènes existe dans la nature, même s'il est vraisemblablement très rare chez les multicellulaires (d'où "je simplifie"). Ce n'est pas tellement la question. Une modification génétique spontanée qui serait défavorable pour l'hôte ou pour l'écosystème qui l'abrite ne peut pas persister, et donc ne peut pas être observée à grande échelle, sur une population (c'est l'essence de la théorie darwinienne). Cela signifie que les gènes et organismes effectivement observables dans la nature représentent une partie minuscule des possibilités, celles-là même qui sont en harmonie avec leur écosystème. Lorsque l'on introduit soudainement une modification génétique à grande échelle, quelle que soit la méthode, on sort de ce cadre et on a donc aucune garantie a priori ("en soi") concernant les effets de cette modification. Il est donc légitime de tester sérieusement ces organismes, à la fois pour leur toxicité et leurs effets sur l'écosystème, parce que ces modifications ne sont pas "en soi" anodines.

      • Merci pour votre commentaire ; effectivement, je me rends compte que j'avais mal compris ce que vous vouliez dire avec "je simplifie";
        concernant le fait de tester ces organismes, je suis tout à fait d'accords et c'est ce que je tentais d'évoquer lorsque je parlais de commercialiser un ogm tout comme on commercialise un médicament ; je me rends compte que la formulation n'était pas très claire ;
        Merci encore pour votre billet, qui permet de réfléchir sereinement à ces questions ;
        Bien à vous

  5. Merci pour cette analyse, je m'y retrouve parfaitement.

    C'est pour l'intégralité des raisons que vous exprimez dans votre conclusion que j'ai également signé cette tribune. Parce qu'elle a le mérite d'exister, de lancer le débat (sur le traitement de l'information scientifique par les grands médias).

    A titre personnel, le texte épuré des exemples ou cantonné aux "3 points peuvent être légitimement qualifiés de consensus scientifiques (1, 2 et 5), " m'aurait beaucoup plus satisfait.

    Merci d'avoir pris le temps d'écrire et de partager un avis mesuré, cohérent et remarquablement bien écrit !

    Gus,
    Docteur - Ingénieur en Chimie Organique

    • Vous adhérez à une analyse qui montre par A+B pourquoi les assertions de votre tribune sont fausses ou fallacieuses, pourtant vous avez signé cette tribune. Très cohérent en effet !

      Votre tribune n'a pas vocation à lancer le débat, c'est tout l'inverse : elle établit de façon péremptoire et peu rigoureuse des thèses qui doivent selon vous être présentées comme consensuelles et sur lesquelles il n'y aurait plus lieu de débattre.

      Utiliser le consensus réel sur le réchauffement climatique pour mieux faire passer des points de vue biaisés sur le glyphosate, le nucléaire ou les OGM est un procédé un peu trop grossier pour ne pas être remarqué.

      Lancer un débat sur le potentiel cancérogène du glyphosate (ce que vient de faire l'ANSES avec un appel d'offres pour des études) serait aussi irrationnel que le platisme selon No Fake Science... Un petit rappel de définition sur la science et le «principe de non-contradiction» ne serait pas de trop. Merci à Romain Brette pour son texte bien écrit qui rétablit la réalité des faits sur ces supposés «consensus».

  6. Merci pour cette réponse qui participe de manière constructive au débat !

    On pourrait rajouter l'impensé des conditions dans lesquelles travaillent les journalistes, et je pense que ça a été une erreur de notre part de ne pas inclure ça dès le début dans les critiques (on s'est focalisés peut-être à tort sur les idées, le rapport à la science... ce qui était un des éléments qu'on reprochait justement à la tribune). Finalement la tribune ne décrit que peu la situation de ce côté là : pourquoi tant de difficultés (selon eux, c'est à discuter) dans le traitement de l'info scientifique ? Est-ce que ça tient aux formations (pourtant y'en a de bonnes) ? A des pratiques ou valeurs spécifiques au journalisme (par ex le fait de donner la parole à tous les acteurs d'une controverse, qui peut induire des formes de relativisme) ? Quel rôle des médias concernés, dans les consignes et dans la latitude données aux journalistes ? Pour avoir eu des témoignages là dessus, je sais que certaines personnes font un boulot très bof en grande partie malgré elles (ce qui est très plombant pour le moral et l'estime de soi) car les rédactions vont préférer souvent des articles moins bons et pondus plus vite ! Si la qualité demande du temps, l'exigence de rentabilité s'érige vite en obstacle. En bref le journalisme c'est aussi une profession qui est en partie en crise, précaire, et il est bien possible que les problèmes les plus fondamentaux dans cette question du traitement de l'info scientifique ne tiennent pas seulement aux aspects idéologiques. Or si on souligne la "lourde responsabilité" des journalistes et le fait qu'ils ne "puissent pas se permettre de travestir" les études scientifiques, peut-être faudrait-il aussi se demander ce qu'ils peuvent se permettre de manière générale.

  7. Bonjour,
    Billet très intéressant, mais j'aimerai juste me permettre une toute petite remarque. Dans la partie concernant le glyphosate, vous insinuez (il me semble) l'idée qu'il n'existe pas d'étude de cohorte ou épidémiologique concernant les herbicides à base de glyphosate. Or une rapide recherche sur PubMed met en évidence une 14 reviews (c'est à dire des méta-anlyses) sur le sujet, et 104 études.
    Voilà je voulais juste préciser ce point.
    Amicalement
    PS : Voici quelques résultats sortant de PubMed :
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31342895
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28320775
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29136183
    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27677668

    • Bonjour,
      Merci pour les références. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'études sur le sujet, mais simplement qu'il s'agit d'un problème méthodologiquement difficile, précisément parce qu'il s'agit d'études épidémiologiques et non d'interventions (c'est-à-dire qu'il faudrait remplacer le glyphosate par un placebo à l'insu de l'agriculteur, comme dans les tests d'homéopathie). Notez d'ailleurs les contradictions entre les conclusions des différentes références que vous citez.

      • Bonjour,
        Je ne rentrerai pas dans le débat, mais je souhaiterai juste rappeler que je n'ai jamais dit que vous aviez omis de citer ces études, juste que votre phrase (j'aurais dû être un peu plus précis) insinuait qu'elle n'existe pas, c'est ce qu'un lecteur aurait pu maladroitement conclure. Je me suis donc permis de citer ces études.
        Ensuite, je précise que je n'ai nullement parlez des conclusions (que j'ai lu je vous rassure) car cela n'était pas mon propos.
        Après je me permet de souligner que vous souhaitez comme preuve de l’innocuité du glyphosate des études qui ne pourront jamais être réaliser ; éthiquement il est en effet peut concevable d'organiser une étude en double aveugle sur un produit potentiellement cancérigène. On ne peut malheureusement ne ce basé que sur des études épidémiologiques, qui certes ne sont pas les plus fiables. Cependant, le glyphosate ayant été introduit en 1974 il me semble personnellement pas incohérent, ni problèmatique, aux vues de la période considéré (1974-2019), de déduire un consensus fort sur la dangerosité de celui-ci via des suivit épidémiologique des cancers et d'autre maladie.

        • Oui bien sûr, ce n'était pas mon propos. Je faisais simplement remarquer que, contrairement au cas de l'homéopathie, l'absence de résultats très clairs ne signifie pas que le glyphosate (en expositions réelles) est inoffensif, mais plutôt que mettre en évidence un effet est méthodologiquement plus difficile (il me semble que le problème n'est pas tant la période d'étude que la difficulté de clairement distinguer des populations exposées et non exposées comparables sur la même période).

          Difficile ne veut pas dire impossible, et en effet ce sont plutôt des études épidémiologiques qu'il faudrait regarder (ce que je dis au début de cette partie). Or l'agence européenne ne les a pas incluses, raison pour laquelle je trouve fallacieux de prétendre que ses conclusions puissent représenter un consensus sur cette question. Si l'on regarde les études épidémiologiques, on ne voit pas, contrairement à ce que la tribune prétend, de consensus en faveur de l'innocuité du produit. La dernière étude de cohorte que vous citez (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31342895) conclut "our current meta-analysis of human epidemiological studies suggests a compelling link between exposures to GBHs [glyphosate herbicides] and increased risk for NHL [lymphomes non hodgkiniens]".

          Celle de 2016 (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27677666) dit au contraire "The assessment of the epidemiological data found that the data do not support a causal relationship between glyphosate exposure and non-Hodgkin's lymphoma". Mais, point intéressant, en 2018 les éditeurs rapportent que les auteurs ont masqué des conflits d'intérêts majeurs (https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10408444.2018.1539570), en l'occurrence avec Monsanto (voir la liste assez affligeante dans le corrigendum: https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10408444.2018.1522142). L'édito du numéro spécial du journal est par ailleurs assez "étonnant" (https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10408444.2016.1234117). On y apprend que la totalité des articles ont été commissionnés par Monsanto, qui a également payé pour qu'ils soient publiés en accès libre. L'éditeur parle pourtant de "independent panel", ce qui est franchement assez consternant.

          Bref, ce qui semble clair c'est qu'il est faux de dire qu'il y a un consensus scientifique sur l'innocuité du produit; la littérature est polluée par des conflits d'intérêts. Selon la dernière étude, qui a priori n'a pas de conflits d'intérêts financiers, la balance semble plutôt pencher dans l'autre sens. Ca peut bien sûr évoluer.

          • Alors je suis heureux que l'on se rejoignent sur le fait que les études épidémiologiques peuvent nous apporter une conclusion. Après j'aimerai souligner qu'à aucun moment je n'ai pris position sur le fond, juste sur l'utilité de ces études. Après voici mon avis sur le fond, oui la méta-étude de 2016 a peut-être été trafiqué, mais il s'agit d'une méta-étude, vous savez tout comme moi que ce genre de review ne fait que compulsé la littérature existante. Je ne dis pas que cela ne peut induire d'effet pervers, mais ne peut masquer un consensus scientifique puisqu'il ne s'agit que d'un rassemblement d'autres études. Donc même s’il y a eu conflits d’intérêt et que cela est discutable sur un plan éthique, son impact sur le consensus peut sans doute être relativisé (ayant recherché les publications sur le sujet sur PubMed, je n'ai pas trouvé de résultat clair et indiscutable montrant la toxicité du glyphosate).
            Pour conclure, car je m'arrêterai là, j'aimerai faire une ultime petite remarque :
            _ vous dites "contrairement au cas de l'homéopathie, l'absence de résultats très clairs ne signifie pas que le glyphosate (en expositions réelles) est inoffensif" On peut dire la même chose de l'homéopathie, ce n'est pas parce que l'on n'a pas mis en évidence un effet claire de l'homéopathie qu'il n'existe pas. Rien ne nous permet d'affirmer que demain une expérience ne montrera pas des effets notable de l'homéopathie (ce qui m'étonnerai beaucoup) et nous forcera à remettre en cause notre consensus actuel. Montrer une absence en science est impossible puisque supposerait de faire une infinité d'expérience (ce qui est impossible).

          • Oui je n'ai pas de position arrêtée sur le glyphosate, je ne fais que remarquer qu'il n'y a pas de consensus sa toxicité, contrairement à ce qu'affirme la tribune. Je pense néanmoins que les conflits d'intérêts sont problématiques, même pour une revue de synthèse, et d'autant plus suspects si ceux-ci sont dissimulés par leurs auteurs. Faire une méta-analyse implique de faire une sélection des études jugées pertinentes ou rigoureuses, puis d'en interpréter les résultats. Ce n'est pas simplement la moyenne des conclusions scientifiques. Spécifiquement, si vous regardez la partie épidémiologie du papier en question commissionné par Monsanto, vous remarquerez qu'en fait ils ont estimé qu'une seule étude (Roos et al 2005) répondait aux critères de qualité adéquats, et leur conclusion n'est donc que la répétition de celle de cette étude. Appeler ça une "méta-analyse", c'est un peu osé.

            Concernant l'homéopathie, oui dans l'absolu il n'y a pas de certitude en ce monde. Néanmoins il y a une différence méthodologique énorme entre les deux cas, à savoir que pour l'homéopathie on parle d'étude interventionnelle en double aveugle, donc où les deux groupes sont statistiquement identiques, ce qui n'est jamais le cas dans une étude épidémiologique, où l'on doit tenter de corriger les biais (ce qui est nécessairement imparfait et demande beaucoup plus de données, et des données plus riches). Cela signifie en particulier que s'il y a une différence notable entre les deux groupes, alors il est très peu probable d'observer un résultat négatif (assertion que l'on peut quantifier). Or seuls des résultats négatifs ont été observés jusqu'à présent, et par conséquent s'il existe un effet de l'homéopathie, celui-ci doit selon toute probabilité être très faible. Cela s'applique, bien sûr, aux produits qui ont été testés.

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