Une analyse globale de la nouvelle politique de recherche - (II) Préjugés psychologiques de l’idéologie managériale

J’ai souligné dans la première partie que l’idéologie managériale qui sous-tend les réformes actuelles de la recherche et de l’enseignement supérieur, et plus globalement la théorie du nouveau management public, est un obscurantisme. D’un point de vue scientifique, ce qui est frappant dans l’idéologie managériale, c’est la grossièreté des présupposés sur la psychologie humaine. Il ne s’agit que de carotte et de bâton : primes d’un côté, précarisation de l’autre. « Manager », c’est donc concevoir une structure d’incitations appropriées (« incentive structure »). La seule façon de faire travailler quelqu’un est de l’inciter financièrement à le faire, et de le sanctionner lorsqu’il ne le fait pas bien. En résumé, c’est de la psychologie béhavioriste dans sa version la plus grossière.

Il n’est apparemment pas venu à l’idée de ces gens qu’on puisse faire un travail parce qu’on l’aime, sans qu’il y ait pour autant une récompense extrinsèque, ou la menace d’une sanction. Ou qu’on puisse soigner correctement un patient, ou éviter de trafiquer ses données scientifiques, pour des raisons avant tout morales - comme le respect de son prochain et l’éthique intellectuelle. Ce n’est peut-être pas un hasard si ces idées sont théorisées principalement par des économistes, dont un certain nombre (heureusement, pas tous) semblent croire à la fable ridicule de l’« homo economicus ».

Or il se trouve (quelle surprise) que l’avidité et la peur ne sont pas les seules passions humaines. Il y a une littérature considérable en psychologie, par exemple, sur la motivation intrinsèque, comme la curiosité. Voir par exemple la théorie du flow de Mihály Csíkszentmihályi - mais pourquoi donc des gens font-ils du surf sans être payés ?! Et oui, les comportements moraux et altruistes existent, chez l’humain comme chez bien d’autres espèces (voir par exemple le travail de l’éthologue Frans de Waal). Il y a également une dimension morale dans une grande partie des activités sociales, et de manière évidente dans les métiers scientifiques et de santé : il s’agit de rechercher la vérité, ou de soigner des personnes (il ne peut pas y avoir de débat scientifique sans un minimum de confiance attribuée à ses acteurs). Ce que résume l’expression « conscience professionnelle ».

La motivation humaine est complexe, et si elle ne se réduit pas à l’altruisme, elle ne se réduit pas non plus à l’avidité et la peur. On se demande bien d’ailleurs quel degré d’inculture il faut avoir en face de nous pour que ce rappel soit nécessaire, tant une bonne partie de la littérature tourne autour de ce fait.

Le rôle des structures, par conséquent, est de permettre à certains aspects de la motivation humaine de s’exprimer, plutôt que d’autres. Ceci est très bien illustré par le discours poignant d’une diabétologue dans le contexte des politiques managériales de l’hôpital. Elle y explique l’effet d’une gestion bureaucratique fondée exclusivement sur la carotte et le bâton : « je devenais une espèce de robot », « je ne suis plus éthique ». Cette nouvelle organisation fondée exclusivement sur la récompense et la sanction (extrinsèques) la conduit à ne plus exercer correctement son métier. Or, le point crucial à relever, c’est qu’auparavant, les médecins n’avaient absolument pas besoin de cela pour soigner les patients. Ils soignaient parce que c’était leur métier. Pas parce que ça rapporte à l’hôpital et que du coup ils auront peut-être une prime. Il existe (existait) des structures sociales pour encourager cette attitude vertueuse. Par exemple la formation (comme l’internat) dans des structures où cette attitude est socialement valorisée. Peut-être aussi la sélection : pour être médecin hospitalier, il faut avoir fait ses preuves dans un service hospitalier, et donc être choisi par d’autres médecins hospitaliers selon des critères propres à l’éthique du métier, et non selon le taux de remplissage des lits.

Quelle drôle d’idée, lorsque l’on a un système qui fonctionne en permettant aux motivations humaines les plus vertueuses de s’exprimer, de le changer pour un système manifestement dysfonctionnel, précisément parce qu’il est organisé pour encourager le pire de l’humain - l’avidité et la peur. Cette drôle d’idée, on ne peut l’avoir que si l’on possède une vision caricaturale de la psychologie humaine. Une vision sectaire et, puisqu’en l’occurrence il s’agit de choses très documentées scientifiquement, une vision obscurantiste. Dans ce contexte, l’insistance des partisans du nouveau management public à instaurer une révolution culturelle (la fameuse « culture du résultat ») est particulièrement inquiétante. Il s’agit ni plus ni moins que d’expurger pratiquement tout ce qu’il y a d’humain en chacun de nous, et de nous transformer, en effet, en « une espèce de robot ».

Troisième partie: Faut-il évaluer la recherche?

Une réflexion au sujet de « Une analyse globale de la nouvelle politique de recherche - (II) Préjugés psychologiques de l’idéologie managériale »

Répondre à Lydia Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *