A propos de la tribune NoFakeScience

Récemment, une tribune a été publiée par le collectif NoFakeScience visant à alerter les médias sur leur traitement de l’information scientifique, en particulier de présenter les consensus scientifiques en tant que tels et non comme de simples opinions parmi d’autres. Intention louable, et sujet en effet très important. Pourtant, cette tribune a été vertement critiquée à la fois par des scientifiques et des journalistes scientifiques. Pourquoi ?

Certains ont cru y voir la main de lobbys industriels, tant le choix des « consensus scientifiques » est (en majeure partie) aligné avec les intérêts de ces groupes. Je ne connais pas personnellement les signataires, mais au vu de la liste il me semble plausible que les signataires soient sincères. Les journalistes flairent souvent le conflit d’intérêt, déformation professionnelle peut-être. Mais l’intérêt personnel n’est pas la seule (ni même la principale) motivation humaine, ni la seule source de biais cognitif. Il est à mon sens plus pertinent en l’occurrence d’y voir des biais philosophiques (j’y reviendrai). Quoi qu’il en soit, je veux ici commenter le texte lui-même en essayant d’éviter le procès d’intention.

Le choix des « consensus »

L’intention affichée, malgré quelques naïvetés philosophiques sur la « méthode scientifique », est louable et résumée dans cette phrase : « l’état de nos connaissances ne saurait être un supermarché dans lequel on pourrait ne choisir que ce qui nous convient et laisser en rayon ce qui contredit nos opinions. ». Malheureusement, c’est précisément ce que l’on peut reprocher à la liste qui suit de 6 « consensus scientifiques », que je reproduis ici verbatim :

  1. La balance bénéfice/risque des principaux vaccins est sans appel en faveur de la vaccination.
  2. Il n’existe aucune preuve de l’efficacité propre des produits homéopathiques.
  3. Aux expositions professionnelles et alimentaires courantes, les différentes instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate considèrent comme improbable qu’il présente un risque cancérigène pour l’homme.
  4. Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié (OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé.
  5. Le changement climatique est réel et d’origine principalement humaine.
  6. L’énergie nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut contribuer à la lutte contre le changement climatique.

A supposer qu’il s’agisse bien de consensus scientifiques (j’y reviens ci-dessous), il y a ici indéniablement un choix qui est fait dans cette présentation. Certains faits bien établis ont été « laissés en rayon », comme par exemple : les pesticides posent un très grave problème pour la biodiversité et de manière générale l’écosystème dont nous dépendons ; le nucléaire pose de sérieux problèmes de dissémination, accidents, déchets radioactifs. Ces remarques sont-elles « hors sujet », comme j’ai pu le lire dans les réactions du collectif ? Non, si l’on revient à la motivation même de la tribune, à savoir ne pas choisir uniquement ce qui nous convient. Bien sûr, il fallait bien faire un choix, ne serait-ce que pour la lisibilité. C’est là que j’en viens au biais philosophique. Ce choix parmi les faits établis est-il aléatoire ? Ce qui saute aux yeux, et qui n’a pas manqué d’être remarqué par les détracteurs de cette tribune, c’est que ces faits (sauf éventuellement le point (5)) vont globalement dans le sens de la glorification du progrès technique. Si l’on avait choisi à la place : les pesticides menacent les écosystèmes naturels ; les OGMs introduisent une relation de dépendance entre les agriculteurs et les multinationales ; les technologies nucléaires actuelles produisent des accidents catastrophiques ; nul doute que le message de la tribune aurait été modifié. Il y a donc une position philosophique qui se dégage nettement dans ce choix, à savoir une confiance a priori dans le progrès technique, que l’on retrouve par exemple chez des intellectuels comme Steven Pinker – dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne fait pas consensus.

Je vais maintenant commenter plus en détails ces points. Sur ces 6 points, j’estime que 3 points peuvent être légitimement qualifiés de consensus scientifiques (1, 2 et 5), mais que les 3 autres prétentions de consensus sont au mieux fallacieuses, au pire fausses.

L’homéopathie

Je commence par la question qui me semble la plus simple, à savoir l’efficacité de l’homéopathie (point 2), pour la contraster avec les autres. Contrairement aux autres points, il s’agit d’un problème scientifiquement assez simple, et qui à mon sens a été mal présenté. On entend souvent « l’effet de l’homéopathie est placebo ». C’est une formulation qui porte à confusion (il faut reconnaitre que la littérature scientifique est elle-même un peu confuse sur ce point). Tester l’efficacité propre de l’homéopathie est relativement simple. Lors de la consultation, on substitue aux granules homéopathiques des granules de sucre d’aspect identique. Cette substitution est faite de manière aléatoire dans la moitié des patients, à leur insu mais également à l’insu de l’homéopathe (ce qu’on appelle « en double aveugle »). Lorsque l’on suit leurs symptômes, on constate qu’il n’y a pas de différence entre les deux groupes. Le traitement homéopathique n’a donc pas d’effet propre. Pire que cela, ce serait un effet toxique. Comme le traitement de substitution s’appelle techniquement un « placebo » (terme un peu abusif), on rapporte que l’homéopathie n’est pas mieux qu’un placebo. Mais dans l’expérience que je viens de décrire, à aucun moment on a montré que l’homéopathie (ou la granule de sucre) a un « effet placebo » (au sens où la croyance en l’efficacité a un effet thérapeutique), ou un quelconque effet. On a simplement montré que l’efficacité ne pourrait pas être pire sans être toxique. Ce malentendu, me semble-t-il, est à l’origine de nombreuses réactions sur le mode : même s’il n’y a pas de substance active, pourquoi ne pas inciter les gens qui y croient à prendre de l’homéopathie, puisque l’effet placebo ça marche ?

Etant donnée la croyance répandue et fausse que l’homéopathie est efficace, il semblerait utile en effet comme le demande la tribune de mieux communiquer l’information scientifique. Cependant, il ne me semble pas en l’occurrence que les médias aient prétendu le contraire de ce que la tribune répète, à savoir qu’il n’y a « aucune preuve de l’efficacité propre ». Le problème, donc, ne semble pas tant être dans la communication de la parole scientifique, mais dans le crédit que les gens lui accordent (y compris les hommes politiques, visiblement), ce qui n’est pas exactement le même débat. La formulation employée dans la tribune ne clarifie pas tellement le sujet. Ce n’est pas exactement qu’il n’y a « aucune preuve ». Plutôt, l’efficacité a été testée de multiples fois, par des méthodes qui auraient dû révéler un effet de l’homéopathie s’il existait, ce qui n’a pas été le cas. Cela signifie que s’il existe un effet de l’homéopathie, il doit être extrêmement faible. Mettre cela sur le même plan que, par exemple, le glyphosate (voir ci-dessous), n’aide pas à clarifier la situation.

Je passe rapidement sur les vaccins, cas légèrement plus complexe mais du même ordre. Je note simplement qu’encore une fois, il n’est pas évident que le diagnostic porté par la tribune soit le bon, à savoir que le problème est que le consensus scientifique n’est pas présenté comme tel par les médias. Il me semble au contraire que les anti-vaccins sont tout à fait au courant qu’il y a un consensus, simplement ils pensent que les résultats des études sont contaminés par des conflits intérêts. S’il s’agit bien de cela, alors réaffirmer l’autorité de l’expert n’est pas la solution, c’est peut-être même contre-productif. Il s’agirait plutôt par exemple d’expliquer et/ou de renforcer l’indépendance des scientifiques menant ces études.

Le nucléaire

J’en viens maintenant aux points plus problématiques. Je commence par le nucléaire, qui est le plus simple à expliquer. La tribune rappelle justement que le nucléaire produit peu de CO2. C’est en effet un consensus scientifique. Pourquoi choisir de mettre en avant celui-ci ? Sans doute la tribune fait-elle implicitement référence aux sondages montrant qu’une partie importante de la population croit le contraire, ce qui est en effet inquiétant. Mais est-ce le fait des médias ? A ma connaissance, ce n’est pas le cas. Le Point rapporte un sondage récent en ces termes : « Selon un sondage BVA, une large majorité de Français pense que le nucléaire contribue à l'émission de gaz à effet de serre. Sa part est pourtant minime ». Au passage, le journal a déformé les résultats du sondage, comme expliqué ici. En lisant ce sondage, on apprend (p6) que les deux principaux reproches faits au nucléaire sont, non la production de CO2, mais la production de déchets et le risque d’accident. Ces deux autres faits consensuels ne sont cependant pas repris par le journal. Pourquoi alors se plaindre spécifiquement que les médias omettraient d’insister sur la faible empreinte carbone du nucléaire ?

J’en viens à la deuxième partie du point (6), le nucléaire « peut contribuer à la lutte contre le changement climatique ». On n’est plus ici du tout dans le consensus scientifique, mais dans le choix politique, qui doit faire intervenir toute la complexité du sujet, qui a été justement « laissée en rayon ». Si l’on considère que le risque d’accident nucléaire, ou de dissémination, est inacceptable, alors non le nucléaire ne peut pas contribuer à la lutte contre le changement climatique. Oui mais est-ce que le nucléaire « peut », en tant qu’option envisageable à pondérer avec ses risques, contribuer à cette lutte ? Il ne me semble pas que ce soit une question évidente non plus, pour lequel il y aurait un consensus scientifique. L’uranium est une ressource non renouvelable. Les estimations optimistes  (agence internationale de l’énergie atomique) considèrent que les réserves couvrent 100 ans de consommation actuelle. Une estimation plus récente (voir le preprint ici), moins optimiste, considère que les réserves ne peuvent pas en réalité être exploitées en totalité et que des problèmes d’approvisionnement commenceront à se poser dès 10 à 20 ans. Je ne suis pas en mesure d’arbitrer entre ces estimations (qui ne me semblent d’ailleurs pas forcément contradictoires), mais on peut simplement faire remarquer que si l’enjeu est de remplacer les énergies fossiles, par exemple en basculant l’automobile sur le réseau électrique, alors il n’est pas du tout évident que le nucléaire puisse y faire face. Les 10 à 100 ans de réserves d’uranium correspondent à la consommation actuelle, qui représente environ 5% de l’énergie consommée, et donc il n’est pas évident que cette part puisse réellement devenir plus significative. Il y a d’autres technologies nucléaires qui pourraient permettre de résoudre ce problème d’approvisionnement, mais pour cela il faudrait les mettre au point et les implémenter, ce qui prend du temps. Il faut aussi, pour être juste, comparer le nucléaire aux alternatives, comme par exemple le photovoltaïque, qui pose aussi un problème de ressources rares. Le nucléaire peut-il contribuer à la lutte contre le changement climatique ? Franchement, je ne sais pas : c’est un sujet complexe et à ma connaissance il n’y a pas de consensus. Affirmer que c’est un consensus scientifique est donc au mieux fallacieux (le consensus c’est qu’on peut y réfléchir, ce qui ne veut rien dire), au pire faux.

Le glyphosate

 La tribune propose également deux « consensus scientifiques » sur des sujets complexes et multifactoriels, que sont les pesticides et les OGMs. Je ne suis expert ni du glyphosate, ni des OGMs, mais cela ne semble pas non plus être le cas de la quasi-totalité des signataires. Personnellement, j’aurais un peu plus d’humilité sur ces sujets. Je fais donc quelques remarques en tant que scientifique non expert mais néanmoins capable de saisir quelques subtilités méthodologiques.

Concernant le glyphosate, la formulation de la tribune est extrêmement fallacieuse : « Aux expositions professionnelles et alimentaires courantes », le glyphosate ne présente probablement pas de risque cancérigène pour l’homme. Par cette formulation, on pourrait croire qu’on parle ici d’études épidémiologiques sur des expositions réelles. Or ce n’est pas le cas, l’une des raisons étant que c’est méthodologiquement difficile, étant donné que tout le monde est exposé à des pesticides divers sans en connaître la quantité ni la formulation. Ce à quoi fait référence la tribune, ce sont des tests en laboratoire de toxicité de la molécule glyphosate, et non des formulations effectivement commercialisées, aux doses correspondant aux doses présumées dans des « expositions professionnelles et alimentaires courantes ». Cette nuance est bien rapportée dans le document de l’autorité européenne de sécurité des aliments cité par la tribune, dans une section justement intitulée « Pourquoi certains scientifiques disent-ils que le glyphosate est cancérogène? ». Peut-on, au vu de ce titre, parler de consensus scientifique ? On y apprend notamment que « certaines formulations contenant notamment du glyphosate présentent une toxicité plus élevée que celle présentée par l'ingrédient actif, probablement en raison de la présence de coformulants » - soulignons que cela ne veut pas dire nécessairement que c’est le coformulant qui est toxique (interprétation réductionniste), mais possiblement qu’il amplifie ou agit en combinaison avec la substance active. Or si l’on s’intéresse effectivement aux « expositions professionnelles et alimentaires courantes » comme le fait la tribune, c’est bien aux formulations commerciales qu’il faut s’intéresser. Le rapport récent de l’agence française ANSES conclut de même : « le niveau de preuve de la génotoxicité du glyphosate chez l’animal peut être considéré comme relativement limité, en revanche des éléments complémentaires devront être fournis en ce qui concerne les préparations contenant du glyphosate », et elle propose que « la classification en catégorie 2 [Substances suspectées d'être cancérogènes pour l'homme] peut se discuter ». Ce n’est certainement pas ce que laisse penser la tribune, par l’usage du mot « improbable ».

Il est intéressant de contraster ce point et celui sur l’homéopathie. Dans ce dernier cas, il n’y a aucune preuve de l’efficacité de l’homéopathie. Concernant le glyphosate, on n’a pas les éléments pour conclure de manière claire à sa toxicité. Mais on parle ici de deux affirmations tout à fait différentes. Dans le cas de l’homéopathie, on a effectué les tests nécessaires, ceux-ci auraient dû démontrer l’effet de l’homéopathie s’il existait, or aucun effet n’a été mesuré. Dans le cas des pesticides, on est face à une question qui est méthodologiquement beaucoup plus difficile. Ce n’est pas que l’effet des pesticides est tellement faible qu’il est indétectable. Comme le rappelle une expertise récente de l’INSERM, « Les experts rappellent que «ne pas être en mesure de conclure ne veut pas dire obligatoirement qu’il n’y a pas de risque». Ce n’est pas ce que j’appellerai un consensus scientifique sur l’absence de risque.

Sans doute, des résultats d’études en laboratoire du glyphosate (notamment sur des animaux, avec des doses non comparables) ont été mal relayées par les médias. Je suppose que c’est ce qui a motivé les auteurs de cette tribune. Mais que la preuve soit fausse n’implique pas que le théorème est faux. Sur la toxicité des pesticides tels qu’ils sont utilisés commercialement, il est abusif de prétendre qu’il y a un consensus scientifique net, et cela est admis par les instances règlementaires comme l’EFSA (« Pourquoi certains scientifiques disent-ils que le glyphosate est cancérogène ? »).

On aurait pu en revanche parler d’autres aspects plus consensuels comme le risque pour la biodiversité, mais cet aspect a été « laissé en rayon ».

Les OGMs

Je termine sur les OGMs. On apprend dans cette tribune qu’un OGM « ne présente pas en soi de risque pour la santé ». Voici une assertion assez étrange. Un OGM est un organisme dont on a modifié le génome, et qui donc n’existe pas à l’état naturel. Les conséquences de cette modification sont donc peut-être anodines, ou peut-être pas. Il n’est pas évident a priori d’anticiper les conséquences pour l’organisme, sa descendance éventuelle et davantage encore pour l’écosystème. Qu’est-ce que les auteurs ont-ils bien voulu dire par « ne présente pas en soi de risque » ? La position par défaut devrait au contraire être la méfiance, et non pas : a priori pas de problème.

Peut-être – je spécule – les auteurs pensaient-ils : il y a bien des mutations naturelles du génome chez les animaux, d’élevage par exemple, que l’on sélectionne, et pourtant on ne s’inquiète pas des dangers potentiels de ces mutations. Changer le génome artificiellement ou spontanément, c’est pareil. Non, ce n’est pas pareil. Les mutations naturelles sont généralement (je simplifie) introduites graduellement, progressivement sélectionnées, n’affectent pas tous les gènes de manière égale et indépendante. Insérer le gène d’une méduse fluorescente dans un lapin, ça ne se produit pas spontanément. Cela ne veut pas dire pour autant que le lapin sera toxique, mais enfin on ne peut pas dire que ce soit comparable à sélectionner les vaches qui donnent le plus de lait.

On aurait pu dire, sans doute, qu’à l’heure actuelle on n’a pas détecté d’effet toxique des OGMs alimentaires mis sur le marché. Mais l’idée qu’un OGM « ne présente pas en soi de risque pour la santé » n’est pas un consensus scientifique dans la mesure où cette phrase ne veut rien dire. Encore une fois, il y a un choix éditorial qui a été fait ici, d’un « consensus scientifique » qui n’en est pas un, et ce choix n’est pas neutre. On aurait aussi bien pu dire : un OGM n’est pas en soi inoffensif, ce qui aurait donné une toute autre coloration à la tribune. Ici, le choix va clairement dans le sens de « il faut faire confiance au progrès technique ».

Le grand public n’est pas confronté à des OGMs « en soi » (qu’est-ce que c’est ?), mais à des OGMs produits dans un certain contexte socio-économique, à savoir par des multinationales, ce qui contribue (non sans raison) à la méfiance. On ne peut pas balayer d’un revers de main la question du conflit d’intérêt lorsque les tests de toxicité sont effectués ou financés par les principaux intéressés. Par ailleurs, dès lors que l’on prend en compte le contexte socioéconomique et politique dans lequel les innovations techniques se déploient, on doit nécessairement envisager ces innovations au-delà de leur aspect purement technique. Les OGMs posent par exemple le problème de la brevetabilité du vivant.

La tribune reconnait presque ce point : « la science n’a pas réponse à tout ». Malheureusement, il semble que ce que les auteurs voulaient dire, c’est : « la science n’a pas encore réponse à tout », puisqu’ils argument ainsi : « Il existe des questions qui n’ont pas conduit à un consensus clair, voire qui restent sans réponse. ». Surtout, il existe des questions qui ne sont tout simplement pas de nature scientifique – ou alors scientifiques au sens très large, incluant l’ensemble des sciences sociales, et encore, il faudrait inclure la philosophie.

Quelques remarques finales

Comme je l’ai écrit dans l’introduction, je pense que les auteurs de cette tribune sont sincères (même si elle ne va pas manquer d’être récupérée). Je comprends leur exaspération et leur inquiétude vis-à-vis du traitement de l’information scientifique par les médias (j’y reviens ci-dessous). Néanmoins, ils commettent à mon sens dans cette tribune certaines erreurs fondamentales, qui semblent relever d’un biais philosophique en faveur des vertus du « progrès » (comme en son temps Claude Allègre, qui considérait toute critique du progrès technique comme obscurantiste). La première erreur, que j’ai essayé de commenter en détails, est que certaines questions très complexes et multifactorielles sont présentées abusivement comme consensuelles, à savoir les OGMs, le nucléaire et les pesticides. Je ne suis personnellement pas opposé à ces trois choses par principe, néanmoins il me semble qu’elles posent de sérieux problèmes qui doivent être débattus démocratiquement, et non par simple arbitrage technique. On me répondra peut-être que pour cela, il est nécessaire de disposer d’une information scientifique fiable. Absolument, et c’est pourquoi sélectionner dans cette information uniquement les bienfaits ou absences de risque et les présenter abusivement comme des consensus scientifiques ne fait qu’introduire de la confusion.

Cela jette malheureusement le doute sur les autres points (homéopathie, vaccins, climat) qui sont présentés sur le même plan. J’en viens donc à la seconde erreur, erreur stratégique ou peut-être erreur de diagnostic. Posons-nous la question : pourquoi les gens croient-ils des choses fausses ? Est-ce parce que les médias relaient ces choses fausses ? Il se trouve que beaucoup de gens (en gros, la moitié) ne font pas confiance aux média. Dans ce contexte, donner aux médias la responsabilité d’apporter la bonne parole (car il est en effet question dans cette tribune d’autorité scientifique plus que de méthode scientifique) semble discutable. On apprend notamment que la majorité des gens pensent que les journalistes ne sont pas indépendants. Cela semble en effet assez factuel : la quasi-totalité des médias appartiennent à de très grands groupes ou à de puissants hommes d’affaires, et sont financés par la publicité. La confiance en la parole politique est au plus bas. Cette méfiance n’est pas illégitime non plus. Il y a donc un contexte de méfiance généralisée de la parole institutionnelle. Dans ce contexte, il n’est pas clair que relayer plus explicitement la parole officielle scientifique va porter les fruits espérés.

Pourquoi les gens croient-ils dans des théories conspirationnistes, voire des « fake news » ? Les réponses habituellement avancées sont généralement sur le mode de la condescendance (les gens sont mal éduqués), sur fond de réseaux sociaux. Il y a pourtant une possibilité évidente qu’il faudrait prendre au sérieux : parce que les conspirations, ça existe et tout le monde le sait. Oui, une grande entreprise d’automobile peut délibérément truquer les tests règlementaires pour pouvoir écouler ses voitures polluantes. Oui, une grande entreprise agroalimentaire peut ficher des journalistes et hommes politiques considérés comme néfastes à ses intérêts. La méfiance n’est pas illégitime.

Il est certain que présenter comme consensus scientifiques des choses qui pour moitié ne le sont pas ne va pas aider à rétablir la confiance. D’ailleurs, faut-il rétablir la confiance ou plutôt créer les conditions de la confiance ? Pour ce qui est des scientifiques, le statut de fonctionnaire contribue à garantir l’indépendance par rapport au pouvoir, et il est inquiétant que celui-ci soit remis en cause ; de même l’intensification de la mise en compétition des chercheurs sur des appels d’offre est inquiétante. Pour ce qui est des journalistes, premièrement il faudrait qu’il y en ait. Le journalisme traverse une crise existentielle, et dans ces conditions il semble illusoire de demander aux journalistes (lesquels ?) de mieux faire leur travail. Dans la plupart des médias, le traitement de la science consiste à rapporter des communiqués de presse d’universités ou d’organismes de recherche (quand ce n’est pas simplement relayer d’autres médias sans vérifier), or ceux-ci portent sur des études ponctuelles et non un savoir consolidé (précisément ce qui manque à cette tribune). Ces communiqués, de plus en plus, font dans le sensationnalisme sous la pression politique, qui tend à transformer les universités en marques. Pour améliorer cela du côté des médias, il faudrait un réel travail de journalisme, ce qui suppose des journalistes, notamment scientifiques, pas si évident dans le contexte actuel (quelques médias, rares, le font). Deuxièmement il faudrait idéalement renforcer l’indépendance des journalistes, ce qui n’est pas évident non plus dans le modèle économique actuel. Le problème de l’information scientifique du grand public est un problème lui aussi complexe qui ne peut s’envisager en faisant abstraction du système économique et politique dans lequel la production et la diffusion des connaissances s’inscrivent. C'est, plus largement, un problème de démocratie. C’est peut-être à cela qu’il faut réfléchir.